Lorsque l’État libanais aura des dents…

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– Rester dans cet État…JUSQU’A QUAND ?

Un problème que la grande majorité des Libanais connaît bien et dont elle souffre de plus en plus. Et un sujet qui, une fois ouvert, ne peut plus être clos, tellement la folie des prix de l’immobilier fait voler en éclats toute lueur d’espoir des jeunes à faible revenu.

C’est tous les jours que Farid Haykal parcourt les journaux pour y trouver une annonce sur un appartement de moins de 120 000 dollars… mais en vain. Fiancé depuis deux ans, il n’arrive toujours pas à trouver un appartement pour sa future famille. Et pour cause : un appartement de 100 mètres carrés qui coûtait 70 000 dollars, il y a 5 ans, est estimé aujourd’hui  à 140 000 dollars, et ce même dans les régions éloignées de Beyrouth. Ainsi, l’appropriation de biens immobiliers devient de plus en plus le propre de l’élite. Sans oublier que les revenus n’ont pas augmenté et que le taux de chômage chez les jeunes a atteint 34 % selon les estimations de la Banque mondiale.

Selon l’agent immobilier Elias Hanna, la hausse déraisonnée du prix des petits et moyens appartements est due à l’augmentation de la demande de la part de Libanais résidents et non résidents et à la cupidité des courtiers immobiliers, des entrepreneurs et des propriétaires de terrains. Par ailleurs, la “ruée vers” les profits des promoteurs immobiliers en l’absence de l’intervention de l’État pour enrayer l’inflation réduit largement le pouvoir d’achat immobilier des jeunes.

Obstacle numéro un pour un ménage désireux d’acheter un appartement : un premier versement de l’ordre de 20 % du prix de l’appartement à verser à l’Établissement public pour l’habitat (EPH) pour obtenir un prêt, soit 20 000 à 30 000 dollars pour un appartement de 100 000 à 150 000 dollars. Pas facile, surtout si les parents n’ont pas mis de l’argent de côté pour leurs enfants ! Obstacle numéro deux : des conditions imposées par les banques avant d’octroyer tout crédit immobilier, à savoir que l’emprunteur doit être employé cadré depuis plus de deux ans ou exercer une profession libérale depuis plus de trois ans et que ses revenus mensuels ne soient pas inférieurs à 2 000 dollars, soit quatre fois le salaire minimum.

Et ce n’est pas tout… Même la minorité qui a pu régler le premier versement souffre des taux d’intérêt trop élevés des banques. Fares Khachane en est un exemple : il se plaint d’avoir payé à la banque au bout de 30 ans un montant global de 265 000 dollars pour un prêt de 150 000 dollars. Le risque est aussi élevé, d’autant plus que tout défaut de paiement conduit à une perte de l’immobilier après une courte période de grâce.

Et la location ? Pas une solution non plus au Liban ! 500 dollars en moyenne par mois pour un appartement des plus petits dans la banlieue de Beyrouth, ça vous tente ? Après tout, ce n’est pas pour rien que le nom de Beyrouth est ressorti dans une étude effectuée par le conseil international en immobilier d’entreprise Cushman and Wakefield sur les villes les plus chères au monde du point de vue loyer d’appartement. Notre capitale a été classée 37ème au monde, 13ème au Moyen-Orient et en Afrique et 1ère sur 10 villes arabes. De quoi être fiers !

Témoignage de Darine Khairallah, une citoyenne qui a fini par se résoudre à parcourir chaque jour de très longues distances pour arriver à son travail. « Les prix des loyers dépassent la moitié de mon salaire, même avec une colocataire », explique-t-elle. « La seule alternative aurait été de vivre avec plusieurs colocataires dans un appartement de 70 mètres carrés », confie-t-elle. Alternative que la jeune femme a, bien entendu, laissé tomber…

Ce problème n’est  pas, par ailleurs, sans répercussions négatives, comme l’explique la spécialiste des sciences sociales, Rana Tabet. Ne pas avoir d’appartement implique une dépendance des jeunes qui peut les conduire à la dépression et à la recherche d’une issue différente pour réaliser leurs rêves, telle que l’immigration, ou même le vol et le trafic de drogue.

La seule et unique solution selon elle : l’intervention efficace de l’État « afin d’imposer aux promoteurs immobiliers une ligne rouge à ne pas franchir et de les empêcher d’exploiter les citoyens ». Sinon, comment ces derniers regagneraient-ils la confiance en leur pays et penseraient-ils à y rester pour de bon et à s’approprier des biens immobiliers ?

Joséphine CANAAN

فيرونيك أبو غزاله، “لبنان: مشاريع زواج مؤجلة بانتظار حلم الشقة”، في جريدة الحياة، ١٢ نوفمبر ٢٠١٢، http://alhayat.com/Details/451885

 

 

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