Meurtri et démoli ensuite apaisé puis réconcilié, le quartier Gemmayzé est désormais la destination phare de Beyrouth. Situé en plein cœur de la ville, le quartier a réussi à se forger une réputation de fête et de joie. Voici l’itinéraire d’une rue qui a su panser les plaies d’une guerre qui aurait pu l’étouffer.
« Gemmayzé c’était l’enfer. Traverser le quartier ou même passer près de la région était une mission suicide. Il fallait être fou pour s’y aventurer», affirme Samia 70 ans, ancienne habitante du quartier.
Pourtant avant 1975, c’était un quartier paisible et calme où il faisait bon vivre. Et puis un jour tout a changé. « Au début de la guerre nous avons fui. Au retour, c’était le choc. Tous nos repères avaient disparu. On ne reconnaissait plus les lieux, il régnait une sorte d’atmosphère lugubre qui rappelait la mort», déclare-t-elle. Au début des affrontements de 1975, et à cause de son emplacement, le quartier subira les attaques des deux clans opposés. Pendant plus de quinze ans, il sera témoin des pires atrocités de la guerre ; francs tireurs, miliciens et guerriers se partageront ce fief qui deviendra rapidement synonyme de mort.
« Gemmayzé c’était l’enfer. Il fallait être fou pour s’y aventurer.» |
« Même avec la fin du combat et au début des années 1990, il nous était très difficile de nous réconcilier avec cette rue. On était méfiant lorsqu’on y passait, il y avait beaucoup de souvenirs, la blessure était toujours vive», raconte Antoine, habitant de la région. Les canons se vident et se taisent, mais la mémoire est toujours vivante. Il faut du temps pour oublier ; ces souvenirs coûtent au quartier des années de délaissement. On ressent la rupture : la rue est sombre et presque déserte. Pendant près de 10 ans, Gemmayzé conservera les séquelles du combat.
La renaissance, un pari risqué
Ce n’est qu’au début des années 2000 que le quartier commence à renaître de ses cendres. De nouveaux commerces viennent s’installer progressivement ; ils feront oublier au quartier et aux Libanais les traumatismes de la guerre.
« Lorsque j’ai proposé le projet de restaurant/pub à mon entourage on m’a pris pour un fou. Le centre ville était en pleine reconstruction mais le quartier était toujours aux oubliettes.
A part quelques habitants qui ont eu le courage de revenir, il n’y avait pas grand-chose. Le quartier était chargé d’une histoire que les Libanais voulaient oublier», explique le propriétaire d’un des pubs qui font la réputation du quartier. Il était l’un des premiers à croire à une renaissance et à s’y installer. C’était un pari risqué, mais les Libanais ont été au rendez-vous.
Gemmayzé aujourd’hui : Une destination huppée et branchée
« On y va souvent, c’est l’une des meilleures adresses de la ville. On s’amuse, on prend un verre, on dîne et on danse jusqu’à l’aube. Bref à Gemmayzé on s’éclate», affirme Clara 32 ans, fervente adepte du nouveau Gemmayzé.
Aujourd’hui plus aucune trace de guerre, de chars, ou de franc-tireur bien au contraire, la rue est sillonnée de restaurants de cafés, de magasins et même de galeries d’art. Les premiers à investir dans le quartier ont réussi leur pari. C’est aujourd’hui une destination très prisée, qui a donné sa réputation à la mythique night life de Beyrouth. L’escalier Saint Nicolas, qui se situe au cœur du quartier, se décore souvent de toiles et de dessins, et les grandes enseignes françaises (le salon de thé Paul et le pâtissier Fauchon) ainsi que les petits commerces locaux se côtoient. Une renaissance plus que réussie pour la ville, le quartier mais surtout pour les Libanais qui ont réussi à exorciser les démons de la guerre. Désormais, à Gemmayzé on ne meurt plus, sauf d’envie, l’envie de faire la fête et de célébrer la vie.
Le Chef, restaurant libanais Le Chef … de la paix « Pendant la guerre, je travaillais au Liban. « Le Chef » était tout simplement le meilleur restaurant de la ville. On y venait quasiment tous les jours pour déjeuner, la cuisine était excellente, l’accueil parfait et on y buvait le meilleur arak de la ville. Que demander de mieux ? », affirme un client français fidèle au restaurant depuis plus de trente ans.
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N.B. Ce reportage a été préparé dans le cadre du cours Reportage dispensé par Mme Elsa YAZBEK CHARABATI. La collaboration entre le cours de Traduction médiatique et le cours Reportage a été lancée durant l’année universitaire 2009-2010.