« Les traducteurs sont des dilettantes qui écrivent comme des bouchers ou des bouchers qui trempent leur plume dans de l’eau de Cologne », aurait dit Jean-Paul Sartre d’après la traduction faite par The Economic Times, principal quotidien économique indien écrit en anglais.
Une opinion que ne partage pas le ministère indien des Affaires étrangères qui incite ses fonctionnaires à perfectionner leurs compétences en interprétation simultanée.
La raison est évidente : durant leurs tournées à l’étranger, le Premier ministre, Narenda Modi, et le chef de la diplomatie indienne, Sushma Swaraj, préfèrent parler le rashtra bhasha (ce qui signifie “langue nationale”) plutôt que l’anglais qui est considéré comme la lingua franca de la diplomatie.
Pour ne pas donner à leurs hôtes l’impression de parler chinois quand ils abordent des sujets sérieux, Messieurs Modi et Sushma ont veillé à ce que les fonctionnaires du ministère indien des Affaires étrangères suivent des cours intensifs en langues étrangères, dont le russe, le français, l’arabe, l’espagnol et le mandarin.
« À Rome, parle comme les Romains » est certes un conseil judicieux. Toutefois, l’interprétation est une opération délicate. C’est le constat qu’a tiré le présentateur sur la chaîne de télévision locale qui a confondu le nom « Xi » du président chinois avec le chiffre romain XI et a ainsi affublé le dirigeant chinois du nom de “Eleven Jinping” (Onze Jinping).
Le pire est à craindre lorsqu’un traducteur, aussi compétent soit-il, sera appelé à traduire le charabia du Premier ministre indien connu pour son penchant prononcé pour les allitérations et les acronymes….
ET Bureau. India shouldn’t get lost in translation, in The Economic Times, https://economictimes.indiatimes.com/magazines/panache/india-shouldnt-get-lost-in-translation/articleshow/65521160.cms?utm_source=contentofinterest&utm_medium=text&utm_campaign=cppst, August 23, 2018.
Cet article a fait couleur beaucoup d’encre « traductologique » suite à l’appel lancé par l’éminent professeur Nicolas Froeliger de l’Université Paris-Diderot, à tous les collègues traducteurs, traductologues et interprètes abonnés à sa lettre de diffusion, dont voici un extrait :
« Alors, l’a-t-il dit ou pas – et comment le reformuler en français ? : translators are “dilettantes who write like butchers, or butchers who dip their pens in eau de cologne” ? Mais d’abord, qui est “il” ? La phrase est attribuée à Jean-Paul Sartre, par le très indien Economic Times du 23 août 2018. Et ce n’est que le début d’un article qui pose, disons, un certain nombre d’autres problèmes de traduction qui pourraient en faire un excellent exercice […] (je compte bien m’y frotter avec mes étudiants) ».
Les réponses communiquées par M. Nicolas Froeliger nous ont permis de retrouver la citation originale de Jean-Paul (dont le grand-père était, semble-t-il traducteur) que voici : « Seulement voilà : à part quelques vieillards qui trempent leur plume dans l’eau de Cologne et de petits dandies qui écrivent comme des bouchers, les forts en version n’existent pas. Cela tient à la nature du Verbe : on parle dans sa propre langue, on écrit en langue étrangère. J’en conclus que nous sommes tous pareils dans notre métier : tous bagnards, tous tatoués.»
Jean-Paul SARTRE, Les Mots, Gallimard, 1964, p. 132
Il est donc évident que la traduction de la citation en anglais dans The Economic Times, n’est pas fidèle à l’original !
Bonjour,
Rashtra bhasha signifie “langue nationale” en hindi, mais vous ne mentionnez pas que c’est justement en hindi que les officiels indiens s’exprimaient, au lieu de l’anglais (puisque le hindi est un langue nationale). D’autre part, pourquoi avez-vous placé sous le titre Rashtra Bhasha les caractères devanagari “Tulsi ke dohe” qui signifient “les dactyles de Tulsi” (Tulsi Das, poète de la période médiévale, auteur d’une version du Ramayana), sans lien avec l’article ?
Bonjour Madame,
Nous vous remercions pour vos remarques pertinentes. Nous allons modifier la partie concernant la langue nationale. Quant à l’illustration, elle n’est pas en relation avec l’article mais nous l’avons choisie parce qu’elle portait la mention “Rashtra bhasha”, tout simplement…