Générateurs d’empathie : et si les robots apprenaient à écrire des scénarios?

L’IA progresse dans l’industrie du cinéma – mais à quoi ressemblerait un scénario écrit par un androïde ?  

J’ai déménagé à San Francisco il y a quelques années, une ville où toutes les startups semblent avoir la même horrible mission : créer des IA qui automatisent le travail d’un pauvre humain. Cela m’a paru drôle car, contrairement au travail des autres, le mien est clairement trop humain pour qu’il soit réellement automatisé un jour. 

Comment un androïde pourrait-il apprendre à écrire des scénarios ? Normalement, le meilleur conseil que l’on puisse donner à un scénariste débutant serait d’abandonner la partie. Sinon, il aurait intérêt à regarder beaucoup de films. 

De temps en temps, on m’envoie des scripts à réécrire : ils ont tous d’excellentes intrigues et sont écrits avec un incroyable talent. A chaque fois que je m’apprête à les lire, je suis convaincu que je serai celui qui sera capable de les améliorer. Mais au bout de quelques pages, je me rends compte que c’est impossible puisque quelque chose de crucial manquait au moment de leur conception : le cœur. 

« Des générateurs d’empathie » : c’est ainsi que Roger Ebert, critique de cinéma américain, définit les grands films. Je pense que cette empathie – ce cœur – émane du besoin humain de raconter une histoire, chose qui manque à tout film qui n’a été fait que pour gagner de l’argent, pour remporter des prix ou pour prouver son génie. 

Imaginons que notre androïde ait vraiment une histoire à raconter, comment pourrait-il apprendre à écrire avec son cœur ?  

Visionner les bons vieux films qui m’ont inspiré serait peut-être un bon moyen. Malgré leurs défauts, ces films ont un tous un point commun : ils ont été écrits avec le cœur. 

Cependant, comment un robot pourrait-il visionner ces films datant de plus de 30 ans ? Ils n’existent que sur une pellicule physique et sont en voie de disparition. Leur avenir semble sombre et pourtant, en tant que scénariste, je sais que, quand tout semble perdu, on finit par triompher des obstacles insurmontables.  

Et si l’on trouvait un moyen de transformer la faiblesse de ces films en leur force ? Et si, lors d’une journée de 2037, le monde entier se trouvait à jamais privé d’Internet ? Ne serait-ce pas une chance pour ces anciens films stockés de reprendre le dessus ? C’est d’ailleurs, dans un monde pareil – un monde sans Internet – que se déroule mon roman, Set My Heart to Five 

Astuce de scénariste : la fin d’un film réussie va boucler la boucle tout en tentant de créer un effet de surprise. Voici donc la fin que je propose… 

« D’ici cinq ans, l’IA écrira des scénarios qui vous sembleront mieux que ceux des humains ». C’est la conclusion d’un article intitulé « La technologie déclare la guerre contre un âne » et publié dans le quotidien britannique The Guardian sur l’utilisation de l’IA dans la réalisation de films. Faisant partie des ânes mentionnés dans cet article, je ne pouvais pas me résoudre à lire l’article en question. Cependant, ce matin-même, j’ai enfin eu le courage de le faire et j’en suis tout blême. 

Surprise, surprise : mon job est sur le point d’être automatisé après tout. D’ici cinq ans, des IA scénaristes seront là. Il faut en moyenne sept ans pour réaliser un film, donc à quoi bon commencer un nouveau scénario maintenant ?  

Ma décision est prise : j’arrête l’écriture des scénarios.  

Le scénariste, être créatif par excellence, voit sa profession menacée de devenir complètement robotisée. Les journalistes et traducteurs devraient-ils s’inquiéter pour autant ?


Source : Simon Stephenson (7 July 2020). “Empathy machines: what will happen when robots learn to write film scripts?”, in The Guardian, https://www.theguardian.com/film/2020/jul/07/empathy-machines-what-will-happen-when-robots-learn-to-write-film-scripts

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