« Il parla ainsi, et le Messager tueur d’Argos obéit. Et il prit aussi la baguette à l’aide de laquelle il charme les yeux des hommes, ou il les réveille, quand il le veut. Tenant cette baguette dans ses mains, le puissant Tueur d’Argos, s’envolant vers la Piériè, semblable à la mouette qui, autour des larges golfes de la mer indomptée, chasse les poissons et plonge ses ailes robustes dans l’écume salée. Semblable à cet oiseau, Hermès rasait les flots innombrables. »[1]
Bien qu’il soit le premier et le seul messager dans la mythologie gréco-romaine, Hermès (ou « Mercure » chez les Romains) était bel et bien connu pour son charme et son pouvoir magique, mais il était encore le dieu des carrefours et des voyageurs, le dieu des grammairiens et des traducteurs. La traduction donc a existé depuis l’Antiquité et s’est répandue non seulement entre commerçants et penseurs pour des échanges économiques et culturels mais elle était encore la mission d’un dieu ; d’un charmeur. Un traducteur ne serait-il pas alors un magicien qui, par sa « baguette », « charme les yeux des hommes [et] il les réveille » par sa traduction ? Ne serait-il pas celui qui a été choisi pour être un messager qui transmet le message d’une langue à une autre ? Et puisqu’il porte le message, ne serait-il pas encore prophète, poète et alchimiste ?
Certes, il est poète et alchimiste puisqu’il a « ses ailes robustes », « ses ailes de géant » [2] qui lui permettent de plonger dans le gouffre textuel et linguistique en « rasant les flots » pour transformer le texte puis en donner un autre nouveau. Autrement dit, un tel métier ne pourrait jamais être remplacé ni par les machines ni par les logiciels. C’est le travail où la tâche et la touche de l’Homme seront toujours et essentiellement nécessaires.
[1] HOMÈRE, l’Odyssée, Paris: Pocket Classiques, 1989, page 102, Rhapsodie V.
[2] BAUDELAIRE Charles, “L’Albatros”, Les fleurs du mal, Paris : Folio classique, 1996, page 36.