La traduction de la traduction
La plupart des films et des séries diffusés au Liban et dans le monde arabe font l’objet d’un d’un doublage ou d’un sous-titrage. Abbas BAYDOUN, journaliste et critique dans le quotidien libanais As-Safir, attaque ces deux techniques de traduction, qualifiant la première de mascarade et considérant la deuxième comme le reflet d’une culture qui prône le camouflage.
Je n’aime pas le doublage. Je n’aime pas que l’on substitue la voix de l’acteur par une autre car c’est une forme d’agression, voire une mascarade qui me tape sur les nerfs.
Je préfère de loin le sous-titrage car lire et écouter les paroles de l’acteur bien synchronisées avec les expressions de son visage et sa voix me paraît un moyen plus sincère, plus simple et plus proche de la réalité.
Sauf que le sous-titrage en arabe a aussi ses défauts ! Car, une traduction qui est soumise à des règles et des directives préalables est tout sauf une traduction proprement dite. Elle cache souvent le vrai sens et le camoufle. Cependant, il ne faut pas blâmer le traducteur mais les contraintes qu’on lui impose.
Pour comprendre le sens, il revient au spectateur de trouver la corrélation entre la fausse dénomination et le sens recherché et il y parviendra s’il fait preuve de perspicacité, d’un bon sens de l’observation et d’un pouvoir de déduction. Et tôt ou tard, le spectateur finira par décrypter le «code secret» utilisé pour comprendre le vrai sens de la traduction : désormais, le spectateur ne lit pas le sens mais il le subtilise.
Ainsi, quand vous lisez «boisson écossaise», il faut penser au whisky. Et c’est bien le cas de la plupart des boissons du monde ! Dans les films sous-titrés en arabe, la vodka devient la «boisson russe», le vin la «boisson française» et le «tequila», c’est, bien entendu, la « boisson mexicaine ». Il suffit d’un peu d’expérience ou de connaissance pour que le spectateur puisse décoder le code encodé par le traducteur.
Pour la culture arabe, en définitive, tout est affaire de dénomination : si elle ne nomme pas les choses telles qu’elles sont, elle croit pouvoir facilement les supprimer ! Et si elle supprime les noms des boissons alcooliques, elle croit pouvoir supprimer l’alcool ! Du coup, la tromperie devient une auto-tromperie.
Mais si l’on pense qu’en supprimant le nom, on supprime la chose, l’on pourrait facilement supprimer un être humain juste à cause de son nom, de sa race, de sa religion, etc. Puisque l’on ne sait plus faire la différence entre l’objet et sa dénomination, les personnes risqueraient de devenir victimes de leur nom !
عباس بيضون. “ترجمة الترجمة”، في جريدة السفير، 22 شباط 2014 http://www.assafir.com/Article/338999/Archive